LA VILLE DE SAMARCANDE
"Tous ce que j'ai entendu dire de la beauté de Samarcande est une pure vérité - mais elle se révèle encore plus splendide que ce que je pouvais imaginer." Alexandre le Grand, 329.av.JC
Samarcande est l'une des plus anciennes et plus belles villes de la Grande Histoire. La plus ancienne cité de l'Asie Centrale, le grand carrefour de diverses confessions religieuses, le pont d'or de la Route de la Soie entre l'Orient et l'Occident, le foyer éclatant de la science et de la culture avancées, le centre des traditions seculaires et la capitale prestigieuse d'un des plus puissants empires qui ait regné sur la Terre.
Samarcande est l’une des villes rarissimes de notre planète. Il est vrai que peu de villes au monde , vieilles de plus de trente siècles, attirent autant par leur beauté et leur aspect exceptionnel et unique. Ce n’est sans doute pas sans raison que les poètes et les historiens du passé prêtaient à cette cité des qualificatifs comme «le Miroir de la Terre», «Samarcande la Paradisiaque», «le Jardin de l’Ame», «le centre de l’Univers», «l’Eden de l’Orient antique», «le joyau précieux du monde musulman», «la perle de l’Orient», «La Rome de l’Orient».
Le passé de Samarcande est émaillé d’etoiles. Le sort a voulu qu’elle ait connu des évenements tumultueux et des bouleversements profonds comme tous les berceaux connus de la civilisation mondiale : Babylone, Memphis, Athènes, Rome, Alexandrie. Aux carrefours de l’Histoire elle se croisa quelquefois avec les grands conquerants : Darius (VIIs avant J.C.), Alexandre le macedonien (329-328 avant J.C.), Qoutaiba ibn Mouslim (VIIs), Gengiz Khan (XIIIs) et Amir Temur (XIV-XVss). Vers le milieu du premier millénaire avant notre ère, Samarcande existait sous le nom d’ Afrassiab, plus tard après sa conquête grècque le nom de la ville primitive devint Maracanda. Sous l’empire Kouchane et le Khaganat Turk Samarcande, la capitale puissante de la Sogdiane était un lieu d’échanges intenses entre l’Orient et l’Occident. Toutes les branches de la fameuse Route de la Soie menant de la Chine à l’Europe passaient obligatoirement par cette cité légendaire.
Convertie à l’islam au VIIIs sous l’influence des Arabes, aux IX-X siècles la ville se transforma en plus grand centre économique et commercial de l’Etat des Samanides. Durant les 200 années qui suivirent le contrôle de Samarcande oscilla entre les Turcs musulmans – les Seldjoukides, les Karakhanides et, plus tard les Khorezmshahs. Puis, au début du XIIIs. Gengiz Khan et son armée dévastatrice pillèrent ce «seuil de paradis».
Avec la sortie de Temur le Grand (Tamerlan) de la scène politique internationale une nouvelle époque commença alors pour Samarcande et cette nouvelle époque nommée «deuxième renaissance orientale» en fit une ville quasi mythique. Sous Ouloughbek, petit-fils de Temur, la ville devint le plus grand centre scientifique et culturel du monde. C’est ici que les savants encyclopédistes et les poètes éminents de l’Orient --- Mirzo Ouloughbek, Alisher Navoiy, DJaloliddin Roumiy, Oumar Khayyam, Abdourakhman DJamiy, Abou Abdoullah Roudakiy, Kazizade Roumiy, Giyassiddin DJamshid et Ali Qoushtchi vécurent et oeuvrerent.
Et aujourd’hui les merveilleux monuments de l’architecture médiévale de Samarcande ne cessent d’émerveiller ses visiteurs non seulement par les créations urbaines et la maitrise technique et artistique des architectes, la richesse de leur art décoratif, la haute qualité du travail des maîtres en céramique. Mais tout autant par la perfection des formes, l’harmonie des couleurs et des proportions architecturales. L’incomparable place du Reghistan, le mausolée luxueux de Gour-Emir, la gigantesque mosquee Bibi-Khanym, le fameux complèxe de la nécropole Shakhi-Zinda, les magnifiques fresques murales d’Afrassiab, chefs-d’oeuvre datant du VI-VIIss, et les autres trésors de l’architecture orientale offrent un étonnememt inimaginable à chaque pélérin.
Actuellement, Samarcande est l’une des plus grandes attractions touristiques de l’Asie Centrale. 78 grands monuments historiques et architecturaux sont soigneusement conservés dans cette «ville des lions». 15 d’entre eux sont inscrits sur la Liste du patrimoine mondial depuis 2001, lors de la 25-ème session l’UNESCO en Finlande.
Comme la Chine, l’Inde, la Grece et la Rome, Samarcande avec ses trésors architecturaux continue d’attirer l’attention du monde entier. Des milliers de touristes venant des quatre coins du monde visitent cette ville avec un ébahissement infini et la quittent avec un souvenir inoubliable.
La ville de Samarcande d’aujourd’hui est le symbole de la grandeur et de la puissance de la nation ouzbeke. En même temps, elle est un grand centre scientifique et culturel. 1 université, 6 instituts, plus de 40 lycées et collèges, 67 écoles, 4 bibliothèques populaires, 3 théâtres, 2 grands stades fonctionnent dans la ville.
Le 28 août 1996, Samarcande est décorée de l’Ordre d’Amir Temur.
Le 18 octobre est célèbré comme le Jour de Samarcande depuis 1996.
La place de Réghistan
Aux XIVe et XVe siècles, le Réghistan (ce qui veut dire "place de sable") était le centre marchand, artisanal et culturel de la ville connu depuis longtemps. C'est le vrai centre de la capitale de Témour, où six artères se rejoignaient sous le dôme d'un bazar nommé Timi-Telpakfourouchan (début du XIVe-XVe ss.). Plus tard, son petit-fils Ouloughbek attribua à ces lieux des fonctions plus culturelles et politiques, y edifiant un caravansérail appelé Mirzoyi, puis, entre 1417 et 1420, la médersa portant nom son à l'ouest de la place.
En effet, cette place sablonneuse assumait la fonction de centre public de la ville. Là étaient des organisations les fêtes populaires, annoncées les ordonnances du roi et exécutées les peines capitales. Mais avec le transfert, au XVIe siècle, de la capitale de l'État à Boukhara, la conservation des édifices du Réghistan cessa de préoccuper les gouvernants. Ils tombèrent alors en ruines, rongés par le temps, les tremblements de terre et les incendies faisant le reste. Au XVIIe siècle, tous les édifices de la place du Réghistan, excepté la médersa d'Ouloughbek, ont été démontés et remplacés par d'autres.
Le nouveau gouverneur général de Samarcande, Yalangtoush Bakhodir, projeta de remodeler cette place. Pour remplacer la khanaka construite par Ouloughbek, qui avait été démontée, il ordonna de construire la médersa de Cher-Dor (1619-1636), puis celle de Tilla-Kari (1646-1660). C’est dans cette configuration que la place parvint jusqu’à nos jours. Et, bien que plusieurs siècles se soient écoulés depuis la construction de cet ensemble, bien que soient apparut de nouveaux matériaux de construction, que les formes architecturales aient évolué pour se conformer aux exigences de l’époque moderne, bien que les critères de beauté soient eux aussi différents, l’authentique œuvre d’art qu’est la place du Réghistan éblouira toujours par son unique et incomparable beauté.
La médersa d’Ouloughbek (1417-1420)
Cette médersa était la plus grande des trois médersas construites sous le règne d’Ouloughbek. Elle se distinguait également par le caractère de son enseignement qui, outre la théologie, obligatoire, dispensait des cours de mathématiques, d’astronomie, et de philosophie. Les plus grands savants de cette époque sont venus y enseigner: l’astronome Kazizadé Roumiy, le mathématicien Ali Koushtchi, ainsi qu’Ouloughbek lui-même, qui y donnait des conférences sur l’astronomie.
Cette médersa constitue également une nouvelle étape pour l’architecture de l’époque. L’édifice (56 m x 81 m), tout comme les autres médersas possède une cour intérieure carrée. Mais ici, quatre portails donnent sur cette cour. A l’extérieur, un immense portail occupe les deux tiers de la façade principale. A chaque angle de l’édifice s’élèvent quatre hauts minarets; les parties latérales de l’édifice s’étendent harmonieusement des deux côtés du portail: elles abritent les amphithéâtres cruciformes. En face de la cour, s’étendant tout en longueur, se trouve la salle intérieure de la mosquée. De proportions gigantesques, les façades et les minarets ont une décoration entrecoupée d’ornements géométriques et de monogrammes, formés par de petites briques vernissées en nuances de bleu sur le fond jaunâtre des briques cuites non revêtues. Le portail de la médersa est orné d’un panneau en mosaique ciselée et glaçurée, réplique stylisée du ciel, parsemée d’étoiles à cinq et à dix branches. La baie de l’arc ogival, mesurant près de 18 m, est ornée d’un tortillon sur tout le pourtour. De magnifiques panneaux de marbre soulignent la façade principale à sa base. La médersa a beaucoup souffert du temps et des tremblements de terre: le premier étage ainsi que les hautes coupoles qui couvraient les amphithéâtres ont disparu, les minarets se sont écartés. Grâce aux travaux de restauration, les minarets Nord-Est et Sud-Est ont pu être redressés en 1932 et 1965.
La médersa de Cher-Dor (1619-1636)
A l’emplacement de la mosquée Alikakukaltosh, en ruine, à l’est de la place, fut élevée une médersa similaire, dont la façade est une réplique presque exacte de la médersa d’Ouloughbek, qui se dresse juste en face. Cette médersa a été construite deux cents ans après celle qui lui a servi de modèle et comporte bien évidemment beaucoup d’éléments nouveaux et représentatifs des techniques de construction du XVIIe siècle. Le choix et la répartition des couleurs, ainsi que l’exécution de certains panneaux, témoignent de la haute maîtrise technique et artistique des bâtisseurs et des artistes de cette époque. Même si son agencement reproduit globalement celui de la médersa d’Ouloughbek, des différences apparaissent lorsqu’on l’observe en détail. Ses coupoles cannelées posées sur de hauts tambours sont admirables, tandis que la combinaison de trois formes opposées, à savoir le plan rectangulaire du portail, les contours arrondis de la coupole et le mouvement vertical des minarets que l’on peut admirer sous différents angles, est devenue le symbole du Réghistan. Le tympan surmontant le grand arc du portail est particulièrement intéressant: c’est un lion ocre et or poursuivant une biche blanche. Le soleil, en forme d’un disque blanc aux yeux en amande, est entouré de rayons dorés qui scintillent. L’ensemble est disposé sur un fond bleu intense avec des pinceaux entrelacés dans des tons turquoise et or et parsemé de fleurs blanches. C’est cette image particulièrement marquante qui a donné son nom à la médersa de Cher-Dor: «la médersa aux lions».
La médersa de Tilla-Kari (1646-1960)
La médersa de Tilla-Kari fut érigée dix ans après l’achèvement de la médersa de Cher-Dor, commandée par le même gouverneur général, Yalangtoush Bakhodir, à l’ancien emplacement du caravansérail Mirzoyi. Elle clôturait ainsi la place au nord et a constitué la touche finale apportée à la place du Réghistan.
Vers le milieu du XVIIe siècle, la principale mosquée du Vendredi de Bibi-Khanym était déjà en ruine et cette médersa devait combiner deux fonctions: celle d’une médersa et celle d’une mosquée Djouma (grande mosquée).
Le portail d’entrée principal, face à la place, est muni d’une profonde niche en forme de pentaèdre comportant deux accès qui mènent à une grande cour fermée. La symétrie de l’ensemble est soulignée par de petits portails disposés au centre des façades donnant sur la cour. Sur le côté ouest, à gauche de l’entrée, se situe la grande mosquée. Elle est composée d’une imposante salle à coupole, dont les dimensions sont démultipliées par les murs ouverts de la galerie à arcs et coupole adjacente des deux côtés à la mosquée. En face de l’entrée se trouve le mihrab, recouvert de marbre et, à sa droite, une chaire (minbar) originale avec ses hautes marches en marbre. La coupole bleu clair, posée sur un tambour cylindrique massif, n’avait pas été réalisée à l’époque; elle a été posée lors de la restauration de la mosquée. La salle centrale, riche en ornements, peintures en relief et dorures, jusque sur les panneaux en marbre, témoigne de la volonté d’éblouir par le luxe et l’opulence. C’est cette débauche d’ors qui a donné son nom à la médersa de Tilla-Kari: «recouverte d’or».
Le mausolée Gour-Emir (1403-1405)
L’un des derniers édifices exécutés sur ordre de Témour à Samarcande fut le mausolée de Gour-Emir: il s’agit du tombeau du «grand conquérant», construit pour son petit-fils préféré Muhammad Sultan, héritier du trône et mort en 1403 pendant l’expédition de Témour en Asie mineure. Puis Témour y fut lui-même inhumé, à sa mort, au début de 1405.
Dans ce mausolée sont également inhumés ses deux fils, Chakhroukh et Miranchakh, ses petits-fils, Muhammad Sultan et le grand astronome Ouloughbek, ainsi que le maître spirituel de Témour Mir Sayyid Baraka.
Ce mausolée a été ajouté à une construction préexistante, composée de deux bâtisses, la médersa et la khanaka. Il les relie, en formant le troisième côté de la cour. Le quatrième côté était orné d’un portail d’entrée, décoré de mosaïque de carreaux. Seuls subsistent aujourd’hui ce portail et le mausolée. La remarquable coupole d’arêtes du tombeau, recouverte de glaçure bleue, produit un effet majestueux.
Malgré ses proportions imposantes (15 m de diamètre et 12,5 m de hauteur), elle n’est pas pesante grâce à son volume découpé en arêtes, au nombre de 64. Les lignes bien nettes du volume de l’édifice conjuguées à l’ornementation murale formant une sorte de gros grillage fait de petites briques vernissées bleu clair et bleu foncé et aux inscriptions en gros caractères sur le tambour, le fait que les masses ne soient pas entrecoupées et l’absence d’ornementation à petits motifs, tout cela imprime un caractère majestueux à cette nécropole de la famille royale. Une fois à l’intérieur, sa hauteur et sa décoration (un lambris en onyx verdâtre, les murs et la coupole intérieure recouverts de peintures et d’ornements en relief, aux dorures scintillantes, et, autour de pierres tombales, une grille ouvragée en marbre blanc) renforcent cette impression de majesté. Parmi ces pierres tombales, on remarque par sa beauté sévère celle de Témour, en néphrite vert foncé. Dans le sous-sol du mausolée se trouve le caveau renfermant les sarcophages des défunts.
Le visiteur qui pénètre sous la voûte du mausolée est fortement impressionné. Des volumes qui s’élancent vers le ciel, un dessin impressionnant aux murs, des ornements dorés qui scintillent en douceur sur un fond bleu ciel s’offrent à son regard. Il semble que les artistes ont utilisé tout l’arsenal dont ils disposaient pour décorer le mausolée de Gour-Emir: sculpture sur bois, gravure sur pierre, stalactites et vitraux, et surtout, primant sur le reste, les peintures murales où prédominent le bleu et les dorures. Ces peintures recouvrent toutes les surfaces, du bas des murs jusqu’à la coupole. Elles ont exécutées dans des tons bleu clair et appliquées sur un endroit en gantch et sur des bossages en papier-maché. Dans l’histoire de l’architecture de l’Asie Centrale, c’est la deuxième fois (après la mosquée de Bibi-Khanym) que le papier-maché a été employé pour le bossage. Cette technique de création d’une surface en reliefs recouverts de dorures était à la fois astucieuse et économique. La justesse des proportions, l’harmonie entre l’architecture et la décoration brillamment exécutée, sa monumentalité, tout cela fait de Gour-Emir l’un des monuments les plus riches du patrimoine culturel mondial.
Le mausolée de Roukhabad
Ce mausolée a été construit en 1380, par Témour pour honorer la mémoire de son maître spirituel Cheikh Bourkhaniddin Sagardjiy. La tombe de ce mystique a donné au mausolée son appelation populaire de Roukhabad – «qui abrite l’esprit». Selon une légende locale, un coffret renfermant une mèche de cheveux du Prophète Mahomet y a été enseveli avec le cheikh. L’architecture de l’édifice est simple. Le plan classique avec chambre cubique aux côtés symétriques, tambour octogonal et dôme conique (de 22 m de hauteur) recouvert de touffes d’herbe, l’absence de portique et la maçonnerie de briques sans ornementation lui confèrent une allure archaïque. Seules ses dimensions imposantes attestent de ses origines témourides.
La mosquée de Bibi-Khanym (1399-1404)
La mosquée principale de Bibi-Khanym est un remarquable édifice architectural de la Samarcande médiévale. L’édification de cette mosquée débuta en 1399, juste à la veille de la campagne militaire de Témour en Inde, qui fut un succès et dura cinq ans. Témour voulait que cette mosquée supplante tout ce qu’il avait pu admirer ailleurs. Il fit donc participer à sa construction des architectes, des peintres, des maîtres et des artisans de nombreux pays orientaux. Deux cents tailleurs de pierre, venus d’Azerbaidjan, de Fars, de l’Inde et d’autres pays ont travaillé à l’intérieur de la mosquée. Des maîtres et des artisans, faits prisonniers lors de diverses expéditions, y ont apporté leur expérience artistique et culturelle propre.
La construction n’était pas achevée lorsque Témour, de retour dans sa capitale, vint admirer sa nouvelle mosquée. Des bâtisses grandioses bordaient une cour rectangulaire mesurant 130 m sur 102 m. A l’ouest s’élevait la mosquée principale du Vendredi, au nord et au sud se trouvaient les petites mosquées secondaires. La spacieuse cour intérieure était pavée de dalles en marbre et entourée d’une galerie couverte pour abriter les fidèles. L’entrée de la cour était ornée d’un haut portail flanqué de deux minarets ronds atteignant 50 m de hauteur. La façade de la mosquée principale était également ornée d’un majestueux portail cantonné par deux minarets. Des briques polychromes vernissées, disposées de manière à créer d’ingénieux motifs géométriques, et des citations calligraphiques religieuses composaient la riche décoration des murs extérieurs de tous les bâtiments. La décoration des salles intérieures était encore plus riche et luxueuse, faite de mosaique en majolique, de marbre sculpté, d’estampages en papier-maché aux dessins rehaussés de dorures.
Une légende romancée à propos de cette mosquée, toujours populaire, est encore racontée aujourd’hui. Selon cette légende, lorsque Témour partit pour guerroyer dans l’Inde, sa femme préférée Bibi-khanym résolut de lui faire un présent digne de sa bravoure et de sa gloire: une mosquée toute neuve. Il fallait agir vite, bien que la guerre menaçât d’être longue. Et le chantier ressembla bientôt à une fourmilière humaine. Les murs sortirent de terre, le minaret s’éleva...Mais un jour, l’architecte en chef, éperdument amoureux de Bibi-Khanym, fut incapable de contenir davantage sa passion. «Je t’en supplie, accorde-moi un baiser, lui dit-il. Je n’en peux plus, je souffre trop, je vais être incapable de diriger plus longtemps les travaux». Fort ennuyée, car c’était le meilleur architecte de la ville, la reine fit apporter des œufs multicolores. En s’adressant à celui dont elle avait embrasé le cœur, elle lui dit: «Vois ces œufs. Chacun est de teinte différente, cependant, ils ont tous le même goût. Pour la saveur, le rouge vaut le vert, ou le bleu. Ecoute-moi: il en est ainsi des femmes. Suis donc mon conseil et sois raisonnable: fais ton choix dans le harem de Tamerlan. Oublie-moi». Non convaincu par ce discours, l’architecte fit apporter deux verres emplis d’un liquide incolore: «Vois ces deux verres, dit-il à Bibi-Khanym. La boisson qu’ils contiennent a la même couleur, la même apparence. Et pourtant...l’eau du premier rafraîchit, apaise, tandis que l’alcool contenu dans le second stimule les sens...». Cet argument vint à bout de la résistance de Bibi-Khanym. Et le baiser fut si ardent que sa peau en demeura marquée.
«Quand Témour revint de guerre, la mosquée était achevée. Sa beauté grandiose, sa richesse, ses proportions parfaites avaient de quoi émouvoir même un homme comme Témour. L’un des portails avait 41 mètres de haut et l’on ne comptait pas moins de 488 colonnes de marbre. Pressé de remercier son épouse favorite ainsi qu’il convenait, Témour aperçut soudain la trace du baiser. Il apprit alors, hélas! l’horrible vérité. Sa réaction fut aussi prompte que terrible: il condamna l’architecte à mort.
Une autre variante prétend que l’architecte s’envola au ciel et qu’il alla porter en Iran l’art de construire des mosquées semblables. Une autre histoire, encore, raconte que c’est après ce fameux baiser que le port du voile fut imposé aux femmes, afin que les hommes ne soient plus tentés par la vision de leurs visages.
Quelle qu’en soit la version exacte, la mosquée devint en effet une merveille de son temps. L’historien de la cour Charafiddin Ali Yazdiy la consacra par ces mots: «Sa coupole serait unique si le ciel n’était pas sa réplique, il en serait de même pour son arc si la Voie Lactée n’était pas son fidèle reflet».
La nécropole de Chakhi-Zinda
Chakhi-Zinda, l’un des ensembles architecturaux les plus importants de Samarcande, reflète presque tous les courants de l’école d’architecture du Maveraunnahr. Les architectes qui ont vécu entre le XIe et le XIXe siècle y ont exprimé tout leur talent.
Cette nécropole se trouve sur le versant sud-est d’Afrassiab; elle est composée de onze mausolées, construits les uns après les autres et destinés aux membres de la dynastie régnante et de la famille des nobles.
La construction de cet ensemble à été commencée autour de la tombe légendaire de Koussam ibn Abbasse, cousin du prophète Mahomet, qui fut surnommé Chakhi-Zinda («roi vivant»). Le début de la construction date des XIe et XIIe siècles, mais les édifices qui subsistent aujourd’hui sont rarement antérieurs au XIVe siècle.
Dans son aspect actuel, cet ensemble est divisé en trois groupes de bâtiments: bâtiments supérieurs, intermédiaires et inférieurs. Le couloir du groupe supérieur est clos par le portail du mausolée de Khodja Ahmad (début du XIVe s.). Le mausolée de Koussam ibn Abbasse, situé dans ce même groupe, sur le côté est du couloir, comprend une salle de la tombe avec une splendide pierre tombale décorée de majolique, une salle de pélérinage et une mosquée plus récente datant du XVIe siècle. Le groupe intermédiaire des mausolées renferme les tombeaux de la famille proche de Témour, dont celui de sa femme Touman-Aka et de sa sœur Chirin-Beka-Aka. On remarque plus particulièrement le mausolée de Chadi-Moulk-Aka (1372). En face de celui-ci se trouve le mausolée de Chirine-Beka-Aka (1385). Enfin, à côté de ce dernier, se trouve l’«octogonale», percé d’arcs et appelé ainsi à cause de sa forme, qui diffère de celle des autres tombeaux de cet ensemble. Un escalier raide conduit vers le groupe inférieur des mausolées: au pied de cet escalier se trouve le mausolée de Kazizadé –Roumiy, astronome et précepteur d’Ouloughbek.
Des coupoles de différentes hauteurs, tantôt à arêtes, confèrent variété et pittoresque aux plans architecturaux. L’ensemble de Chakhi-Zinda est un musée unique de l’ornementation glaçurée datant des XIVe et XVe siècles. Il ya une infinie richesse des procédés artistiques utilisés pour cette décoration composée de carreaux de céramique: de terre cuite ciselée et émaillée, de merveilleuses pièces en mosaïque simple et en mosaïque de gros carreaux en brique vernissée. Par leur finesse et leur grâce, les mausolées de Chakhi-Zinda priment incontestablement sur tous les autres monuments d’architecture de Samarcande.
L’observatoire d’Ouloughbek (1427-1428)
Cet observatoire occupe une place particulière parmi les monuments historiques de Samarcande. Il a été construit par Ouloughbek sur le mont de Koukhak pour mieux observer le ciel. Après la mort d’Ouloughbek en 1449, l’observatoire a été détruit. Les fouilles archéologiques ont mis au jour la partie souterraine du méridien sextant et les fondations de l’édifice. Il était de forme ronde, comportait deux étages, son diamètre était de 46 m et sa hauteur de 31 m. Une profonde tranchée, dans laquelle s’enfoncent deux arcs parallèles d’un appareil d’astronomie aux dimensions gigantesques et dont la longueur des arcs atteignait 63 m, a été creusée dans la roche dure. Ces arcs ont été construits en brique cuite et recouverts de plaques de marbre blanc. Aujourd’hui encore, il subsiste sur ces plaques des degrés gravés en caractères arabes.
Les tables astronomiques d’Ouloughbek (1437) furent la dernière étape franchie par l’astronomie du Moyen Age et représentent la plus grande perfection qu’a pu atteindre cette science avant l’invention du télescope. Les résultats obtenus par l’école d’astronomie d’Ouloughbek ont exercé une influence importante sur le développement de la science orientale et occidentale, notamment en Inde, en Chine et en Europe. Les proportions gigantesques de l’appareil principal, sa conception particulièrement réussie, le savoir-faire des astronomes de Samarcande ont permis d’atteindre une étonnante précision dans l’observation du Soleil, de la Lune et des planètes. Durant des siècles, la localisation de l’emplacement de l’observatoire d’Ouloughbek demeura un mystère pour les historiens, et ce n’est qu’en 1908 que ses vestiges ont été découverts par l’archéologue russe Viatkine dans les dépôts de loess du Koukhak.
Le mausolée de Khodja Daniyar
Situé au nord de la colline d’Afrassiab, le mausolée de Khodja Daniyar fut construit dans la deuxième moitié du XIVe siècle par Témour, qui rapporta les ossements de ce saint après l’une de ses campagnes militaires en Asie mineure. Resté très longtemps à l’abandon, ce bâtiment fut restauré entre 1998 et 2013. En 1996, le patriarche Alexis, de passage en Ouzbékistan, vint se recueillir sur la tombe de ce saint. Cinq coupoles surmontent un sarcophage géant de 18 mètres de long. Certaines légendes racontent que Khodja Daniyar continua à grandir dans la mort, obligeant à agrandir sa tombe chaque année, et qu’il reviendra lorsqu’il aura atteint «une certaine taille». A la tête du tombeau, on peut voir les éléments ornementaux de calligraphie coranique gravés dans la pierre. Au pied des marches, près de la rivière, un petit bâtiment à coupole abrite une source d’eau sainte. Les croyants y font leurs ablutions et s’y désaltèrent. Actuellement, ce lieu saint est en effet le seul lieu de Samarcande qui rassemble les trois confessions; musulmane, chrétienne et juive.
La colline et le musée d’Afrassiab
Cette ville, l’une des plus anciennes d’Asie Centrale, existait déjà sous le nom de Marakanda (ce qui veut dire «la cité puissante») vers le milieu du Ie millénaire avant J.-C. Plus tard, les vestiges de cette ancienne ville furent appelés Afrassiab, en l’honneur du roi mythique de Tourane. L’ancienne Afrassiab est aujourd’hui une immense concentration de collines sans vie au nord de la ville actuelle. Mais dans les temps très reculés, cet endroit débordait de vie. On a aujourd’hui la certitude qu’il existait à Afrassiab des sites d’habitation de type urbaine il y a déjà plus de deux mille huit cents ans. La ville était entourée de robustes murs de défense, derrière lesquels se trouvaient une citadelle, une mosquée, des maisons d’habitation et des ateliers d’artisanat. La citadelle royale, mise au jour lors des fouilles de 1965 au centre d’Afrassiab, s’est révélée étonnamment riche sur le plan archéologique: elle comportait des bâtiments en brique crue, des peintures murales multicolores, ainsi que beaucoup d’objets de la vie courante. Plusieurs bâtisses des VIe et VIIe siècles y ont également été mises au jour. Leurs murs sont ornés de peintures magistrales sur le plan artistique, exécutées avec de la détrempe sur du plâtre. Dans l’un de ces bâtiments, des peintures d’un type original furent découvertes. Des artistes antiques ont représenté dans des couleurs vives une procession solennelle d’hommes et de femmes portant de riches offrandes et vêtus de costumes de fête. Des animaux existants ou imaginaires font partie de la procession. Ces tableaux témoignent de la grande qualité et de l’originalité de l’art figuratif des maîtres de Samarcande dans les premiers siècles de l’ère chrétienne.
Le musée d’Afrassiab a été fondé en 1970, à base d’une fameuse fresque murale découverte sur cette colline. Cette fresque datant du VIIe siècle est une œuvre unique en son genre, et l’une des rares dont disposent les archéologues et historiens pour étudier la peinture de la période préislamique.
La mosquée de Khazrati-Khizr (XIXe siècle)
La mosquée de Khazrati-Khizr a été érigée devant le versant sud d’Afrassiab, vers le milieu du XIXe siècle. Elle a été construite au nord de la ville, à la croisée des routes, près des portes d’accès, en l’honneur du saint dont elle porte le nom, patron de tous les voyageurs. Elle est située sur un haut flanc de coteau naturel en terrasses. Petite de taille, munie d’un aiwan ajouté aux belles peintures du plafond et dont le revêtement intérieur et extérieur est fait en gantch ciselé, cette mosquée a été maintes fois remaniée et enrichie de nouveaux éléments. Les différents volumes s’y entremêlent, confirmant son bon goût architectural, que ce soit le haut aiwan, le minaret ou les coupoles trapues de l’entrée principale. La mosquée a été restaurée en 1913.
L’ensemble Khodja Akhrar (XVIIe siècle)
L’ensemble se trouve à 4 kilomètres du centre de Samarcande, près de la tombe du saint Khodja Akhrar, qui est venu au XVe siècle de Tachkent à Samarcande pour devenir le chef religieux de l’état des Témourides.
Cet ensemble est d’un agencement assez libre, avec une disposition asymètrique des édifices autour d’un bassin entouré des platanes pluricentenaires. L’ornementation de la mosquée mêle des procédés décoratifs typiques utilisés en architecture monumentale. Le plafond en bois est peint dans le même style que celui d’une maison ou d’une mosquée de quartier. Quant au mihrab de la mosquée, il est superbement décoré grâce à sa mosaïque particulièrement réussie.
Au XVIIe siècle, le premier ministre du khanat de Boukhara Nadir Muhammad Devanbeghi fit ériger une médersa et une mosquée près de la tombe de Khodja Akhrar. Restaurée en 1982, la médersa de Nadir Devanbeghi est entièrement couverte de mosaïques, comme les médersas de la place du Réghistan. Sa cour, en revanche, présente quelques particularités: de modestes aiwans de chaque côté au lieu d’un grand au centre, et de plus petites arcades pour les salles de classe et les dortoirs, tous occupés.
Le mausolée de Khodja Abdi-Daroun
Dans la partie sud-est de la ville, à l’emplacement d’un ancien cimetière, se trouve l’ensemble de Khodja Abdi-Daroun, le plus attrayant centre musulman actif de Samarcande. Cet ensemble érigé autour de la tombe de Khodja Abdi-Daroun (qui a vécu au XIe siècle), l’un des hommes saints du lieu, comprend un mausolée du XIIe siècle auquel furent ajoutés un dôme et un portique au XVe siècle, ainsi qu’une mosquée et une médersa au XIXe siècle.
En outre, la plus grande partie de la cour est occupée par les platanes projetant une ombre majestueuse autour d’un bassin. On pense que la petite salle de tombes du mausolée, surmontée d’un toit conique, date du XIIe siècle et que la salle de pélerinage a été ajoutée à l’époque d’Ouloughbek, dans la première moitié du XVe siècle.
Le mausolée d’Ishrat-khana (1464)
Situé presque en face de l’ensemble Abdi-Daroun, le mausolée d’Ishrat-khana a été érigé en 1464 par Khabiba Sultanbeghim, femme du sultan Abousayid pour leur fille, décédée très jeune. Puis il devint rapidement le tombeau familial destiné aux femmes et aux enfants de la famille des Témourides. Son nom, qui se traduit par «la maison de la joie et de la félicité» lui aurait été donné en raison de ses décors somptueux, que l’on ne peut que deviner aujourd’hui. La construction de ce tombeau réservé à un cercle aristocratique, s’est déroulée pendant une période troublée et assombrie par une radicalisation religieuse. On ne constate pourtant pas d’arrêt complet de l’activité culturelle en Asie Centrale. Le déclin se ressentit principalement dans les domaines de la littérature et des sciences exactes. En revanche, l’école d’architecture de Samarcande continua à progresser et, bien que l’on construisait déjà peu et dans des proportions moindres par rapport aux années précédentes, on remarque dans les constructions de la seconde moitié du XVe siècle une évolution dans les idées architecturales et artistiques. Ishrat-khana en est un exemple marquant. Malgré son extrême état de délabrement, malgré la perte de la coupole centrale (provoquée par le tremblement de terre de 1903), de la totalité du premier étage et de la plus grande partie du revêtement décoratif, Ishrat-khana produit une étonnante impression de grâce et de légèreté. De volume compact, elle comprend les éléments classiques de l’architecture monumentale d’Asie Centrale: un portail, des rangs de niches à arcs, mais avant tout une merveilleuse coupole ogivale de couleur turquoise surélevée sur un haut et élégant tambour. Le charme de l’édifice ne réside pas dans ses formes et ses dimensions grandioses, mais dans ses proportions harmonieuses, dans la précision de ses traces et dans le parfait équilibre de ses masses architecturales. La modestie et la simplicité de la décoration extérieure contrastent avec le luxe de celle des édifices de la période précédente. Ishrat-khana est l’un des premiers monuments d’Asie Centrale pour lesquels a été employée la nouvelle technique de constuction des arcs (4 arcs de renforcement qui s’entrecroisent) et des pendentifs. Ce procédé garantissait une plus grande stabilité des coupoles en comparaison avec celui employé précédemment. Parallèlement à ces nouvelles solutions spatiales apparurent également de nouveaux procédés décoratifs. Ici fut utilisée pour la première fois la technique de décoration murale appelée koundal, qui consistait à appliquer des ornements en relief rehaussés de dorures. L’intérieur d’Ishrat-khana est là pour témoigner des immenses possibilités que ce procédé a offert aux maîtres de la décoration architecturale. Les pittoresques ornements végétaux et floraux qui recouvrent les voûtes, les stalactites et les coupoles en sont le plus bel exemple. Si l’on ajoute à cela les plaques de carreaux qui décoraient les murs à leur base, la mosaïque des grillages aux fenêtres garnies de verre coloré, on peut facilement imaginer quelle féerie suscitaient les décors intérieurs du mausolée, en particulier dans sa salle principale.
Le silence qui régnait à l’intérieur inspirait calme et sérénité. Les habitants avaient surnommé ce mausolée
L’ensemble Imam al-Boukhariy
A une trentaine de kilomètres au nord de Samarcande, dans le village Khartang (actuellement nommé Khodja Ismail) se trouve le mausolée d’al-Boukhariy, un des hauts lieux de pélerinage du monde musulman. Né en 810 à Boukhara, Abou Abdoullah Muhammad ibn Ismail Imam al-Boukhariy est l’un des saints les plus vénérés d’Ouzbékistan. Au cours d’un long voyage de plus de 15 ans, au retour du grand pélerinage de la Mecque, il collecta plus de six cents milles paroles du Prophète Mahomet, à travers tout le monde musulman.
Des siècles de recherches ont prouvé qu'al-Boukhariy avait constitué la collection de hadiths la plus fiable et la plus respectée. Comme il n'a jamais été rattaché à une école particulière, son mausolée tenue des pélerins du monde entier. Aujourd'hui les visiteurs font librement leurs pélerinages autour de sa tombe. Reconstruit par les meilleurs artisans du pays en 1997-1998, son mausolée est entouré d'une immense cour intérieure bordée d'Aïwan. Le bassin et les platanes centenaires qui l'entourent sont tout ce qui reste de l'ancien site.